Lettre à Madame la Ministre de la culture concernant les abus de DRM

Madame la Ministre,

La dématérialisation des œuvres de l'esprit représente une aubaine pour la diffusion de la culture, et constitue pour certains une avancée technologique comparable à l'invention de la presse à imprimer par Gutenberg. On constate pourtant une certaine réticence de la part des spectateurs, attachés à la distribution matérielle qui présente par certains aspects des qualités supérieures aux systèmes de distribution dématérialisée.

De nombreuses plate-formes de distribution de contenus dématérialisés utilisent en effet des systèmes de verrouillage qui permettent au distributeur de conserver un contrôle sur l'utilisation de ces contenus après l'acte de vente. Ce contrôle, lorsqu'il est exercé, ne peut s'appliquer qu'au détriment du client, comme le montrent des exemples de plus en plus nombreux :

Ces dérives n'ont pas d'équivalent dans la distribution physique, où elles seraient inimaginables : pour reprendre un livre vendu, un libraire devrait en effet s'introduire par effraction dans le domicile privé de son client pour y commettre un vol. Bien que n'étant pas intrinsèques à la notion de distribution dématérialisée mais simplement inhérentes aux systèmes de verrouillage artificiel choisis par de nombreux acteurs, elles sont souvent vues par les utilisateurs comme des inconvénients rédhibitoires et alimentent à juste titre leurs inquiétudes relatives à la distribution dématérialisée.

Ces problèmes pourraient être évités par une interdiction pure et simple des systèmes de verrouillage numérique, mais cette solution ne semble malheureusement pas réaliste à court terme. C'est pourquoi je vous propose une contrainte qui, inscrite à la loi, pourrait suffire à les éviter, ou tout du moins à les atténuer. Il s'agirait d'imposer à tout fournisseur de contenus dématérialisés de rembourser le prix d'achat des contenus vendus à ses clients, dans tous les cas où, par le fait de son action ou de son inaction, ceux-ci deviendraient inutilisables dans les conditions attendues, intégralement dans le cas où la durée d'indisponibilité est supérieure ou égale à une durée raisonnable1, et en proportion de la durée d'indisponibilité si celle-ci est strictement plus courte que cette durée raisonnable, que cet état de fait soit volontaire ou non et quelle qu'en soit la raison ou la cause, en particulier une décision unilatérale, arbitraire ou motivée, une panne, une injonction légale ou toute autre raison.

Je ne suis pas juriste, et il ne s'agit donc là que d'une proposition informelle, mais je ne doute pas qu'elle puisse être mise en œuvre sous la forme d'un texte de loi applicable. Cette proposition me semble raisonnable, et à la fois bénéfique pour les spectateurs d'œuvres culturelles et sans danger pour les distributeurs tant que ceux-ci ne se livrent pas à des abus au détriment de leurs clients. Il s'agirait en fait, en ce qui concerne les distributeurs, de rendre ceux-ci financièrement responsables des conséquences négatives des usages possibles de leurs systèmes de contrôle des usages, y compris si ces usages sont rendus nécessaires par une décision externe telle qu'une injonction de justice à retirer un contenu, les clients ne devant en aucun cas payer pour les erreurs de leurs fournisseurs.

Étant donné l'enjeu de ces problèmes, je ne doute pas que vous accorderez à ma demande l'attention qu'elle mérite et que vous ne manquerez pas d'y répondre, fût-ce de façon négative, et je me tiens à votre disposition si vous souhaitez discuter plus longuement de cette proposition. Dans un souci de transparence, je vous informe que je rends publique cette demande, et que je publierai de la même façon votre réponse.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l'expression de mes salutations respectueuses.


  1. Pour définir cette durée raisonnable, je propose d'utiliser le temps caractéristique associé à l'utilisation initiale privilégiée d'une œuvre, que j'estime à deux semaines pour la plupart des œuvres.